Communication
Texte intégral
Dans le foisonnement des discours performatifs experts et profanes sur la « communication politique locale », Internet est encore fréquemment présenté comme un outil susceptible, pêle-mêle, de permettre la prise en compte immédiate des opinions (consultations électroniques) et plus généralement la prise de parole, de rapprocher élus et citoyens, de faciliter le dialogue entre citoyens, de favoriser la participation politique (…). Bref, de revivifier une démocratie locale sinon en crise, du moins en souffrance, et de contribuer fortement à l’émergence d’un espace local évidemment « plus démocratique » maillé par les réseaux électroniques, sorte de micro « société en réseaux » – pour reprendre en la transposant la métaphore de Castells (1998) -, connectée au Village global prophétisé par Mac Luhan. Internet investit tous les domaines porno italiano et tous les espaces matériels et symboliques, et donc inévitablement l’espace public local.
On pourrait, au nom de doctes thèses désormais bien diffusées dans le champ académique, traiter par le mépris ou l’indifférence ces constructions discursives. Nous préférons les prendre au sérieux, non point en raison de ce qu’elles énoncent et annoncent, ou d’une survalorisation du performatif ou du pouvoir des prédictions créatrices (Merton, 1965), mais tout simplement parce qu’elles font l’objet de multiples usages sociaux et que ces usages sont significatifs à la fois de la place empiriquement observable occupée par film porno Internet dans la communication médiatisée (cf. la bibliographie en fin de volume), de l’imaginaire lié à Internet et derrière lui à de nombreuses techniques de communication, de l’ampleur de la crise de la démocratie représentative (locale ou non) et des légitimes interrogations des acteurs sociaux, élus compris.
Au coeur des préoccupations, mais sans doute pour des raisons différentes, la participation politique occupe une place particulière. Qu’elle s’exprime par des procédures organisées et censées être connues de tous (c’est pour cela qu’on les dit « publiques ») ou à travers ces processus plus informels qui effraient tant les uns et qu’appellent tant de leurs voeux les autres, force est d’admettre qu’elle est en même temps une ressource et une contrainte, « un discours de légitimation du pouvoir, et un discours privilégié de sa contestation » (Paoletti, 1999). Et aussi un état et un processus, serait-on tenté d’ajouter, pour complexifier encore l’analyse. Elle est enfin multiple, ce qui signifie que toutes ses formes ne sont pas, loin de là, orientées vers la prise de décision.
Dès lors, il peut paraître fécond, comme le font les auteurs de la présente livraison de Sciences de la Société, d’interroger la participation politique à trois niveaux :
1. son amont, à propos de la « concrétude » de la démocratie locale (loin de ses métaphores les plus extrêmes : l’oasis et le désert), des représentations de la démocratie réticulaire, de la généalogie complexe des rapports communication/démocratie locale.
2. son aval, autour des acteurs, des enjeux et des usages des TIC, du vote électronique, des forums municipaux, des procédés numériques comme dispositifs éventuels de substitution des formes traditionnelles de communication politique.
3. l’articulation de l’amont et de l’aval, au sujet du devenir de la citoyenneté, promise aux potentialités du virtuel, confrontée aux transformations de la société et des représentations du monde, contrainte de composer avec pompino les bruits et les odeurs de l’urbain ; avec la lecture des modestes réalisations de formes électroniques de participation à partir des logiques sociétales dans lesquelles elles s’insèrent et avec lesquelles elles entretiennent un rapport dialectique.
C’est dire que la dimension technique, voire socio-technique, a été délibérément laissée de côté ou fortement relativisée par la plupart des contributeurs. Leur méfiance vis à vis des technologies en réseau censées sinon changer le rapport au politique, du moins apporter un « bonus démocratique » s’explique peut-être :
– pour les chercheurs investis depuis longtemps dans ce champ de recherche en raison des leçons qu’ils ont pu tirer de travaux, quelque peu oubliés aujourd’hui car antérieurs à l’ère Internet, auxquels ils ont d’ailleurs souvent participé de façon plus ou moins active : analyse de la « télédémocratie » aux États-Unis (fin des années 1970-début des années 1980), notamment par Arterton (1987), d’expérimentations télématiques en France (Aspasie à Marne-la-Vallée, Claire à Grenoble, Télem à Nantes, la télématique à réponse vocale à Blagnac…), de la montée en puissance des politiques locales de communication à partir des années 1980, de la médiatisation croissante du politique. Mais aussi de recherches sur un thème qui faisait florès fin des années 1970 au point d’être largement relayées par des revues destinées à un public élargi, cultivé ou militant (Correspondance Municipale, Esprit, Pour, Autrement, Économie et Humanisme), la démocratie locale ; avec, il est vrai, des connotations très différentes de celles que l’on peut aujourd’hui relever : il est alors largement question d’alternative, d’autogestion et non de management de la citoyenneté locale ou de « gouvernance locale », même si, sous les coups de boutoir des impératifs de la régulation sociale et des (prétendues ?) nécessités de la gestion, le maire commence à se vivre comme un manager, tandis que le citoyen s’efface partiellement derrière l’administré, voire l’utilisateur, et plus tard derrière le client-consommateur…
– pour les plus « jeunes » en raison de leur formation et de leurs options théoriques et méthodologiques : leur boîte à outils s’est largement construite à partir de références théorico-empiriques facilitant, d’une part, la mise à distance de la dimension technique et de ses mythes (surtout), d’autre part, la prise en compte non seulement du temps et des temporalités, mais aussi et surtout de la dimension politique.
En fait, sur une question qui se prête assez facilement à son effacement, quand ce n’est pas à sa dissolution pure et simple, les contributeurs ont, sans se concerter, refusé d’euphémiser le -et aussi la- politique. Ce faisant, ils adhérent implicitement ou explicitement à la thèse selon laquelle la communication est autant du côté de la culture et du politique que de celui de la technique, même quand cette dernière semble vouloir s’imposer avec la force de l’évidence.
Dès lors qu’il est repéré, le rapport communication/politique doit être observé, spécifié et analysé. En d’autres termes, il doit être érigé en objet problématique non seulement des disciplines qui le prennent (ou devraient le prendre…) pour objet (science politique, sciences de l’information et de la communication, sociologie politique…), mais également des autres sciences que Passeron (1986) qualifie « d’historiques ». C’est avec modestie mais résolution que Sciences de la Société entend contribuer à l’élaboration de ce « Grand Oeuvre ».
© Sciences de la Société n° 60 – oct. 2003
Références bibliographiques
ARTERTON (F. C.), 1987, Teledemocracy, London, Sage.
CASTELLS (M.), 1998, La société en réseaux, Fayard.
MERTON (T. K.), 1965, Éléments de théorie et de méthode sociologiques, Paris, Plon.
PAOLETTI (M.), 1999, « Les maires. Communication et démocratie locale », in Balme (R.), Faure (A.), Mabileau (A.), dir., Les nouvelles politiques locales. Dynamiques de l’action publique, Paris, Presses de Sciences Po, 429-445.
PASSERON (J.-C.), 1986, « Les sciences sociales : unité et diversité », in Guillaume (M.), dir., L’État des sciences sociales en France, Paris, La Découverte.
Ce numéro de SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ a été réalisé grâce au soutien de l’Action concertée incitative (ACI)Ville du ministère français de la Recherche et des Nouvelles Technologies. Dans sa programmation 2000-2002, l’ACI-Villes a confié au CIEU-CNRS et à l’Université de Toulouse-Le Mirail, le soin de « créer des pôles de compétence ainsi que (…) de constituer des réseaux de recherche pérennes » sur les questions relatives aux ntic dans l’espace urbain, aux nouveaux services urbains et à la démocratie locale.
Selon le ministère, bien que ces questions préoccupent nombre d’acteurs de terrain, la recherche française semblait insuffisamment présente dans les années 1990, alors même qu’elle avait été historiquement précoce. Dans certains domaines, on assistait même à un décrochage entre les communautés scientifiques françaises et anglophones qui s’exprimait, par exemple, par le peu de références aux publications en langue française dans les travaux anglo-saxons.
Il y avait donc urgence à réinscrire les sciences humaines et sociales françaises dans le débat, notamment en mettant l’accent sur les travaux qui contribuent à renouveler les problématiques et les données empiriques. L’option retenue par les responsables scientifiques de l’aci a été d’organiser et de faire vivre un réseau de partenariat scientifique comprenant une quarantaine de chercheurs francophones (parmi lesquels l’équipe LERASS-Médiapolis, Université de Toulouse 3, très impliquée dans le présent numéro) et anglo-saxons relevant de plusieurs disciplines et acceptant de travailler dans une optique multidiscipli-naire.
A l’intérieur de ce travail en réseau, deux sous programmes ont été définis :
les métropoles du numérique ;
les expériences de démocratie locale, en lien avec les TIC.
De nombreux séminaires ont permis d’échanger longuement sur ces questions et des publications collectives doivent se succéder tout au long des années 2003 et 2004. En particulier, un séminaire sur « E-démocratie et e-citoyenneté » a été organisé en juin 2001 à Toulouse, tandis que la thématique des lieux publics (espaces publics) d’accès à Internet a été abordée lors d’une séance de travail en mai 2002 à Castres (Tarn).
Même si elle ne rassemble pas les seuls travaux de chercheurs membres du réseau, cette livraison de SCIENCES DE LA SOCIÉTÉ est dans une large mesure le fruit des efforts déployés depuis trois ans par les partenaires scientifiques pour nourrir le débat.
Résumé
Cet article se propose de réfléchir au renouveau de la démocratie locale en France depuis les années 1980. Il s’agit à la fois d’étudier les ressorts de cette relance et d’analyser au concret les diverses expériences et pratiques auxquelles elle donne lieu. Ce processus est inscrit dans l’histoire de la démocratie locale faite de réinventions successives. L’évolution récente du cadre juridique traduit une institutionnalisation nouvelle qui n’exclut pas une grande indétermination. La proximité, déclinée dans les figures du quartier et de l’habitant, est au cur de la légitimation des procédures participatives. L’article montre que la participation, si elle est instrumentalisée par les élus, ne contribue pas moins à redéfinir les règles du jeu politique local.
Mots-clés : démocratie participative, conseils de quartier, pratiques, proximité, crise de la représentation, local.
Isabelle PAILLIART, Une histoire des formes communicationnelles de la démocratie locale
Résumé
L’utilisation des supports de communication pour développer la démocratie locale s’inscrit dans une tradition de l’information municipale française. Cette dernière se manifeste depuis les années 1920 et dès cette époque, le bulletin municipal sert à la formation des « citoyens ». Les années 1970 constituent une période particulièrement riche, pendant laquelle se créent des structures de participation des habitants aux décisions, se multiplient les supports d’information, s’affrontent des conceptions et des critiques de la démocratie locale. Dans tous les cas, l’utilisation des outils de communication s’intègre dans un contexte plus large que le renforcement de la démocratie locale : amélioration des services publics locaux, visibilité du pouvoir, justification des décisions municipales. Entre ces deux périodes, des points communs émergent : les outils de communication révèlent cependant que les notions de démocratie, d’opinion, et les rapports mêmes des habitants au pouvoir ont évolué.
Mots-clés : communication municipale, pouvoir local, nouvelles techniques de communication, démocratie locale, concertation, opinion.